Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/148

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prit. J’avais enfermé deux billets de banque, de mille francs dans une lettre…

— Et qu’avez Vous fait ensuite de cette lettre ? demanda Manette, qui connaissait tous les accidents administratifs d’une lettre depuis le moment où on la jette dans la boîte jusqu’à celui où elle arrive.

— Je l’ai mise à la poste de Saint-Faréol, ici, chez vous, dans la boîte.

— Et elle n’est pas parvenue ?

— Elle est parvenue, mais au bout d’un an.

— Au bout d’un an !…

— Quand cet argent si difficilement obtenu ne pouvait plus être d’aucune utilité pour moi. Enfin, voilà l’horrible position où je suis. N’ayant pas répondu à l’appel de ma classe, je suis considéré aujourd’hui comme réfractaire, et la gendarmerie a ordre de m’arrêter partout où elle me trouvera. Maintenant, jusqu’à ce que j’aie régularisé ma position ; c’est-à-dire que j’aie rejoint mon corps, je suis obligé de vivre caché.

— Oh ! mon Dieu ! dit Manette, tous les malheurs à la fois ! Et où irez-vous ?

— Un fermier des environs m’a reçu chez lui ; j’y resterai jusqu’à ce que je me décide à rejoindre mon corps et à prendre le fusil pour huit ans…

— Huit ans !

— Pas moins.

— J’attendrai, dit héroïquement Manette.

— Où ?

— Je ne sais. Là-bas peut-être, où sont ces pierres si blanches.

Manette désignait le cimetière du village qui blanchissait dans la glaciale atmosphère. Alors seulement ils s’aperçurent que le froid était d’une rigueur épouvantable. La