Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/151

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— Tu auras un collier avec six gros brillants.

— Encore !

— Mais ce n’est pas tout, chère enfant. Tu verras les douze belles robes que je t’ai commandées.

— Déjà commandées !

— Ce n’est pas trop tôt si l’on veut te marier dans un mois.

— Oh ! oui ; j’avais oublié que mon mariage se fera dans un mois.

— Tu auras encore…

Mais, voyant que sa fille, au lieu de se réjouir à l’annonce de toutes ces belles choses, prenait de plus en plus un visage triste, madame Leveneur s’arrêta tout court au milieu de sa brillante énumération, et elle regarda fixement Manette. En un clin d’œil, la même émotion de peine se peignit sur leurs visages, et elles se levèrent en même temps, pour se précipiter dans les bras l’une de l’autre. Elles s’embrassèrent ; elles pleurèrent, et leurs pleurs en disaient éloquemment la cause. La peur leur faisait porter à chaque instant les yeux au plafond où elles redoutaient d’entendre tonner, par le judas, la voix de M, Leveneur. Dans cet épanchement la timide mère trouva, pour ainsi dire, le pardon de sa faiblesse ; ses larmes disaient combien elle était loin d’approuver le mariage de sa fille avec le conducteur de diligence ; mais c’est tout ce qu’elle osa manifester, et encore sa volonté ne fut presque pour rien dans, cet aveu tacite. Elle s’accusa sans prendre l’engagement de réparer sa faute maternelle ; elle aurait volontiers dit à Manette de la consoler. Aussi celle-ci, qui la connaissait bien, ne profita pas de cette expansion pour la prier de fléchir son père et de changer ses projets. Elle la plaignit et ne l’aima pas moins.

— Montez, dit-elle ensuite à sa mère, montez vite ; je craindrais, si vous restiez plus longtemps ici, que mon père