Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/157

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— Y en a-t-il bien vingt-cinq ? dit Leveneur ; voyons.

— Que va faire mon père de ces billets de banque ? réfléchit Manette, de plus en plus terrifiée ; je tremble !

— Oui, le compte y est.

— Mais, mon ami, lui dit doucement sa femme, vous ne remettez pas ces billets dans cette lettre.

— Je les remettrai dans quinze jours ; la lettre aura été égarée.

— Vous disposez donc de ces cinq mille francs ?

— Pour quinze jours seulement, vous dis-je ; c’est une misère. Mais, en ce moment, l’argent est très-rare, les eaux sont basses ; ce sera toujours une centaine de francs d’intérêts, même mieux.

— Mais ces gens-là attendent cette somme pour…

— Ils ne perdront rien pour attendre, répliqua Leveneur avec une affreuse ironie, puisque je leur, enverrai leurs cinq mille francs dans quinze jours intégralement. Me prendriez-vous, par hasard ; pour un voleur ?

— Oh ! je ne dis pas cela, répondit madame Leveneur.

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! se dit Manette, les lèvres blanches de pâleur, les yeux hagards, je m’explique maintenant comment il s’est fait que les deux mille francs envoyés par le pauvre Engelbert à sa mère pour qu’elle lui achetât un remplaçant ne lui sont parvenus qu’un an après leur envoi. Mon père les avait… Je n’ose pas le dire… s’interrompit Manette ; mais c’est lui, c’est mon père qui est cause qu’Engelbert est en fuite, qu’il mourra… que je mourrai, dit-elle plus bas en allongeant la jambe pour descendre, car la douleur, la honte et l’indignation, pesaient sur elle comme une meule ; elle chancelait, elle allait tomber. Tout à coup, elle s’arrête, remonte l’échelon : elle a entendu sa mère qui lit cette adresse :