Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/192

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le jeta devant les bottes du colonel, qui, ignorant les antécédents de Poliveau, le prit pour son domestique. C’est au milieu de l’atmosphère riche et tranquille où l’ancien flibustier se trouva tout à coup transporté que se développa en lui le génie de la cupidité, armé de tous les moyens de l’exercer contre son maître. Commencer trop tôt à l’appliquer, c’eût été tout compromettre, tout perdre. Il attendit, il attendait encore ; seulement, il agissait maintenant à petit bruit, écartant les broussailles, regardant où il posait le pied, et ne perdant pas de vue le but qu’il voulait saisir au moment opportun.

Assis dans le fauteuil de son maître, au milieu d’un charmant boudoir, Poliveau plongeait le regard dans toute l’étendue des vastes pièces dont les portes étaient restées ouvertes par la sortie tempétueuse du colonel. — Ah ! si ceci était à moi, disait-il, ces meubles en palissandre, ces rideaux de damas, ces tapis, ces pendules de quatre mille francs la pièce, et parbleu ! cet hôtel aussi !… oui… mais comment ?… Qui dit trois fois comment, s’écria Poliveau, est un imbécile… et je ne le suis pas, Dieu merci ! Et en se levant pour se verser du madère dans une délicieuse coupe de cristal, qu’il osa prendre, sur la table de son maître, sorti sans déjeuner, Poliveau se dit encore : Victoire viendra aujourd’hui à trois heures rapporter le linge fin du colonel… Elle a un beau nom, et qui répond bien à mes espérances. De jour en jour le colonel la trouvant plus jolie, j’ai été presque forcé de la faire passer pour ma sœur. Il n’était pas décent que je devinsse dans un temps plus ou moins prochain le rival de mon maître… Le colonel la croit donc ma sœur… Et, quand Praline le tourmente, quand il est las d’elle, il ne manque jamais de me dire : Poliveau, il me semble que ta sœur n’est pas venue depuis longtemps… Serait-elle malade ? C’est une fort gentille enfant…