Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/193

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— Oui, mon colonel. — Quel âge a-t-elle ?… — Seize ans et demi… — C’est bien jeune… Et le brave colonel d’ajouter : J’ai là un tas de gilets, de cravates et de mouchoirs qu’elle néglige de venir chercher… Comme si je ne voyais pas que son linge est aussi blanc que lorsque Victoire le lui porte… Il fait semblant de le salir, il le froisse… Doucement pourtant, mon cher moi-même ! nous voulons bien une passion ardente, aveugle, mais pas d’amourette… Nous avons nos projets… Allons ! encore un second verre de madère… Non ! pas de second verre… Le vin est un traître… Poliveau retira sa main, qui effleurait le bouchon de la vieille bouteille… D’ailleurs, on avait sonné. Serait-ce déjà la maîtresse du colonel ?

C’était sa tante, la comtesse de Lostains.

Poliveau prit aussitôt un air humble, et s’inclina jusqu’à terre :

— Comment t’appelles-tu, mon ami ? demanda d’un ton guilleret la vieille comtesse de Lostains en se jetant, la béquille entre les jambes, dans le fauteuil en damas cerise de son neveu.

— Je m’appelle Poliveau, pour vous servir, madame la comtesse.

— Baliveau ?… Quel drôle de nom pour un valet !

— Poliveau, madame la comtesse.

— Quel ridicule nom tu as, mon pauvre Soliveau ! Dans mon temps, heureux temps ! nos valets s’appelaient Frontin, Bourguignon, Poitevin, Lorrain, Comtois, mais jamais Godiveau.

— Poliveau, madame la comtesse.

— Soit. Eh bien ! mon pauvre Poliveau, je crois que la tête de mon neveu déménage. Quelle folie est donc la sienne ! quelle fantaisie enragée le possède pour donner dans la dévotion à ce point…