Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liveau eut la cruelle adresse, lui qui avait toutes les subtilités, de supprimer les lettres de cet ami, et un soupçon d’ingratitude entra alors dans le cœur déjà si malade du colonel. Comme ses favoris, sa mélancolie passa du bleu au noir. — Les amis ne vaudraient-ils pas mieux que les amies ? pensa-t-il.

À quelques jours de là, un beau cheval de selle qu’il affectionnait beaucoup, un pur sang arabe du plus grand prix, mourut tout à coup sans maladie. C’était celui qu’il montait tous les jours, depuis quatre ans, dans ses promenades au bois de Boulogne ; c’était un autre ami qu’il perdait.

Poliveau aurait pu dire de quelle maladie était mort le cheval de M. de Lostains.

Habile à procurer de grandes douleurs, Poliveau ne le fut-pas moins à en inventer de petites, de tous les instants, de celles qui sont à l’homme ce que les moucherons sont au lion. Elles piquent, elles exaspèrent, rendent enragé celui qu’elles persécutent.

Sachant les suites qu’auraient les réponses qu’il faisait à tous les amis du colonel venus pour le voir, il leur disait : M. de Lostains est allé à son château en Auvergne passer l’automne. Et, si on rencontrait le colonel quelques jours après, dans les rues de Paris, on s’écriait : Je vous croyais parti !… et par réflexion on ajoutait : Il ne veut pas sans doute qu’on le croie à Paris. Alors abondaient les conseils compatissants : Il faut se distraire… Une femme perdue, dix de retrouvées… C’étaient autant de coups de poignard qu’on lui donnait au cœur en voulant le consoler de la perte de Praline.

Pour comble d’ennui, il avait beau demander des nouvelles de Victoire, Poliveau répondait toujours : — Elle est auprès de sa tante.