Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/243

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Nous ne tardâmes pas à rejoindre la voiture, où, selon mon cocher, devait, être un Anglais, où, selon moi, se trouvait un voyageur français. À la rigueur, nous avions perdu tous les deux. Il n’y avait dans cet équipage qu’une femme ; mais, cette femme étant une Anglaise, je consentis à considérer le pari comme perdu pour moi. Elle voyageait seule, et cet isolement paraissait l’ennuyer beaucoup, à en juger par l’empressement qu’elle mit à lier connaissance et à entrer en conversation. Elle parlait peu le français, mais elle le comprenait à merveille ; je parle fort mal l’anglais, mais, avec quelque, effort d’attention, je le devine. Chacun de nous, à l’aide de cette demi-faculté, put comprendre l’autre sans sortir de sa langue.

— Monsieur, vous allez à Waterloo ?

— Où aller, madame, dans ce pays perdu, sinon à Waterloo ?

— Croyez-vous, monsieur, que je trouverai à déjeuner à Mont-Saint-Jean ?

— J’en suis convaincu, madame, parce que je suis convaincu qu’on trouve à déjeuner partout, à dîner partout, et du vin de Champagne partout, pourvu qu’on n’insiste pas sur la qualité.

— Vous me rassurez.

Ma nouvelle compagne de voyage exhala ensuite un long soupir en jetant les yeux autour d’elle. Nous entrions dans l’immense périmètre où la grande bataille s’était concentrée le 18 juin, et où elle avait fini par se décider.

— Monsieur, vous venez aussi pleurer sur quelque perte personnelle dont le souvenir ?…

— Non, madame, je n’ai ni cette douleur ni cette gloire.

— Mon pauvre William ! dit elle en portant un mouchoir à ses yeux.

— William était sans doute le père ou le mari de cette