Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/244

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respectable dame, me disais-je. Ce ne pouvait être que l’un ou l’autre ; car, si elle était d’un âge à avoir des fils propres à être tués, il n’était guère possible de supposer qu’ils l’avaient été à Waterloo.

— Ainsi, monsieur, reprit-elle, vous pensez que nous trouverons du thé, du lait, du beurre, à Waterloo ?

— Très-certainement, madame, et même des œufs sur le plat.

Il s’écoula quelques minutes, au bout desquelles nouveau soupir de l’Anglaise, suivi de cette exclamation qu’accompagna encore le mouchoir :

— Mon pauvre James !

— Je me trompais, me dis-je une seconde fois. Ce ne peut être son père qu’elle vient pleurer ici : elle n’a pas eu deux pères… et elle est d’âge à avoir eu sans invraisemblance deux maris… Oui, mais deux maris tués à Waterloo le même jour ?… Autre impossibilité.

— J’ai l’habitude, poursuivit mon énigmatique Anglaise, de prendre quelque chose de plus substantiel que des œufs le matin :

— Des beefsteaks, par exemple ?

— Précisément, monsieur.

— Eh bien ! nous aurons des beefsteaks.

Nous touchions à la chaussée qui va du Mont-Saint-Jean à Waterloo lorsque ma touriste poussa un troisième soupir en disant :

— Mon pauvre Tom !

— Ah çà ! madame, m’écriai-je avec une pétulance qui allait recevoir immédiatement sa leçon, vous avez donc perdu trois ?…

— J’ai perdu huit frères à Waterloo.

— Huit frères !

— Le même jour et presque à la même heure… Cela