Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/265

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tant de la Haye-Sainte, allonge de loin dans les airs ses ruines désolées. Il est resté à peu près tel qu’il était après l’incendie. Il n’a jamais dû être fort remarquable, malgré le titre ambitieux de château dont il se décorait. On donne facilement ce titre en Belgique à d’épaisses maisons blanches, bâties à l’extrémité d’une pelouse, et laissant s’arrondir sur leurs flancs les arbres d’un parc. Moins maltraitée que le château, la ferme d’Hougoumont est redevenue habitable, quoiqu’il n’y eût pas beaucoup d’habitants quand je m’y introduisis. Le mur extérieur, qui relie le château et la ferme, n’a reçu aucune réparation depuis la bataille de Waterloo, depuis la sombre matinée où cette enceinte, d’abord muette et inoffensive en apparence, devint tout à coup une galerie de meurtrières homicides. Ces meurtrières existent encore. Dans ces trous qui vomissaient une grêle de balles et tuaient des Français à tout coup, j’ai vu, vivant dans une sécurité profonde, de jolis, lézards, couchés entre du lichen, des liserons et des mousses roses et argentées. On sait que Napoléon, s’étant enfin aperçu que ce combat accessoire paralysait une partie de ses forces, dont il avait besoin ailleurs, s’écria : « Quelques canons, huit obusiers, et que cela finisse ! Voici le point (il l’indiqua sur une carte) par où il faut attaquer. » On obéit, et à l’instant tout fut fini. Le château croula dans les flammes aux cris lamentables des blessés des deux nations. À la guerre, c’est une manière d’en finir.

Il était environ trois heures : j’entrai dans cette propriété si tragiquement historique. Personne dans la première cour pour me répondre. Les gens de la ferme sont aux champs, pensai-je ; je m’avançai pourtant vers d’autres corps de bâtiments construits à la droite du château. J’entendis alors un murmure de voix ; j’avançai encore, et je finis par me trouver devant un immense magasin à four-