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Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/266

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rage dont on avait laissé à dessein les portes à demi ouvertes, afin d’attirer de l’ombre et de la fraîcheur à l’intérieur, car la chaleur devenait excessive. On se disputait terriblement dans cette espèce de halle. Comment cela n’eût-il pas été ? C’étaient des Flamands, parlant, criant, s’injuriant en flamand avec leurs grandes bouches torses, leur nez grotesque, leur teint de bière, signes caractéristiques qui n’ont pas varié depuis Teniers et Van Ostade. J’étais tombé au milieu d’un tableau de l’école hollandaise de grandeur naturelle. Rien n’y manquait, ni la pipe écourtée, ni les verres à côtes, ni les pots de bière écornés, ni le bonnet tombant ; sur le front pour se relever sur l’oreille, et ces accessoires contribuaient merveilleusement à renforcer la couleur locale, complétée par le sujet même de la querelle. Je ne le saisis pas bien d’abord ; mais, les efforts de l’attention aidant, je finis pas le deviner. Deux cages étaient posées en face l’une de l’autre sur une poutre élevée à hauteur d’appui. Dans chacune de ces cages, étaient deux gentils serins des Canaries, d’une assez belle espèce, au corsage élancé, au plumage jaune pâle, mais plus maigres que ne le sont d’ordinaire ces jolis oiseaux d’un autre climat. Chacun sait que la passion pour les tulipes ne règne pas sans partage dans les Pays-Bas ; la passion pour les serins des Canaries est poussée jusqu’au fanatisme, jusqu’au délire, chez les Belges, qui la tiennent en droite ligne des Hollandais. Ils portent dans l’éducation lyrique de ces dociles oiseaux une habileté prodigieuse, trop prodigieuse à mon sens, car les malheureux serins, au lieu de chanter les airs du bon Dieu qu’ils savent en naissant, chantent en Belgique des airs de romance, des airs de chanson et même des airs d’opéra. Plus ils chantent d’airs, plus ils ont du prix. Un amateur qu’on m’a fait connaître à Bruxelles possède un serin élevé