Aller au contenu

Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous m’y faites songer, madame ; je vais allumer du feu.

— Sarah ; dit en se tordant les bras mistress Philipps et en élevant la voix, Sarah, savez-vous que ceux qui n’ont pas de lit, par la glace qui est dans les rues, doivent avoir un mauvais sommeil ?

— Vous, m’excuserez encore, madame ; mais je n’ai pas pensé à faire le lit : je vais le préparer.

— Sarah, Lucy n’a pas dîné, Lucy a froid, Lucy a sommeil.

Après ces paroles, sèches comme le délire, la mère se tut.

Elle se dirigea vers le lit de sa fille ; sa place de la nuit y était encore creusée ; l’oreiller avait conservé la foulure de sa tête. Elle baisa cette empreinte ; et, quand elle se releva, par un mouvement d’habitude, elle borda le lit, comme si Lucy y était encore : elle croyait avoir donné le baiser de la nuit à sa fille. Toujours aussi machinalement, elle tira les rideaux, et ce ne fut que lorsqu’elle porta les doigts au bouton de la lampe, pour en adoucir la clarté, qu’elle aperçut Sarah, qui la regardait tristement faire, et de l’air de pitié dont on suit les mouvements désordonnés d’un fou.

Elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre, et il se passa plus d’une heure sans qu’elles songeassent à se séparer.

Il eût été difficile de dire quelle était la mère, à l’expression de la douleur.

Dieu envoie de loin en loin aux familles, comme aux peuples, une crise profonde pour rétablir l’équilibre qu’ont rompu les préjugés, et l’égalité se retrouvé dans les larmes.

Bien que mistress Philipps n’eût jamais été fière, elle se sentit toute forte de l’appui de Sarah, et de ses rudes