Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/296

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mains pour serrer les siennes, et de toute cette bonne créature, qui partageait les angoisses maternelles, sans avoir eu l’orgueilleuse joie de posséder un enfant. Sarah était sur le point de remercier sa maîtresse de s’apitoyer avec elle.

C’était triste, cette douleur prolongée et sans cris, muette, saignante, en dedans comme les blessures mortelles ; c’était bien triste, cette lampe qui envoyait un rayon, tantôt rouge, tantôt jaune, sur un berceau sans enfant ; de voir ce qui va s’éteindre passer sur ce qui a disparu ; triste comme un nid d’hirondelles dont on a brisé les œufs, et qu’éclairent sur les bords les rayons du soleil couchant.

Le petit jour se faisait, jour terne, aube d’ardoise, aurore des villes. Les deux femmes, étaient immobiles comme deux glaçons.

Et comme deux glaçons tout à coup leurs corps se séparent, et deux cris spontanés sortent de leurs poitrines.

— Sarah !

— Madame !

Et l’une colle l’oreille à la porte, l’autre l’applique à la croisée.

— Entendez-vous ? Non, je ne me trompe pas, Sarah.

— C’est lui ! madame.

— En êtes-vous bien sûre ?

— Madame, il est au bout de la rue.

Rien ne peut exprimer l’exaltation de leur ouïe.

— Oh ! oui. Silence ! je crois ne plus l’entendre.

— Ne vous faites pas cet effroi, madame. Tenez, l’entendez-vous ?

— Oh ! c’est Rog, Sarah.

— C’est Rog, madame. Il approche. On dirait qu’il appelle.

— Il me ramène ma fille !