Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/324

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qu’il s’occupait d’améliorer le sort des esclaves de Saint-Domingue, faisait macérer et pourrir M. son fils dans les cachots du château d’If, il lut avec une attention marquée la pétition de notre obscur personnage, et il lui permit de planter ses tubercules dans toute l’étendue de la plaine des Sablons. Autant aurait valu lui concéder le désert de Sahara. Les Sablons ! Le nom vous peint l’endroit : il y pousse du sable à plaisir. Cependant, il accepta la concession comme un bienfait du ciel. — Mon tubercule vient partout, s’écria-t-il en se rendant dans la plaine des Sablons, dont il prit possession au nom du roi de France, comme si, nouveau Cabot, il avait découvert le Canada.

Tandis qu’on s’occupait alors à Paris de philosophie et de politique, de la cour et de Versailles, lui allait à pied tous les matins, par la chaleur ou par la pluie, dans sa plaine des Sablons, pour voir s’il ne sortait pas quelques petites feuilles hors de terre. C’était presque attendre un miracle de cette arène jaune, poudreuse et sèche. Le miracle eut lieu pourtant ; une petite feuille, un soupçon de verdure, parut. Il se découvrit, et baisa la terre. Le lendemain, tout le sol était vert. Le Sahara avait germé. Quelle suite d’émotions n’éprouva-t-il pas, en visitant chaque jour sa culture ! Peu à peu, petit à petit, les herbes devinrent plantes, nouvelle joie, nouvelle anxiété, les plantes étaient tantôt jaunies par une journée trop ardente, tantôt abattues sous l’effort d’un coup de vent. La nuit était mauvaise à passer. Quelquefois, des enfants, les descendants de ces autres enfants qui insultaient l’esclave de Camoëns, mendiant le soir pour son maître sur les promenades de Lisbonne, les pères de ces autres enfants qui attachent aujourd’hui des morceaux de papier et des lambeaux de chiffon à l’habit du dernier doge, à Venise, ces enfants-là avaient arraché, les cruels ! quelques beaux pieds touffus,