Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/328

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tière, et la récolte ne se relève plus. Il suffit d’une année de disette pour faire augmenter du double le prix du froment ; deux années mauvaises entraînent la misère publique ; trois années stériles, ce n’est que trop prouvé, engendrent la famine. La disette de grains pendant la paix, c’est l’émeute sur les marchés et à la porte des boulangers ; la disette de grains pendant la guerre, c’est la révolte. Tandis qu’avec une heure de travail par mois l’Africain recueille de la terre qu’il exploite assez de millet pour alimenter sa famille, — et le millet réduit en poudre, connu sous différents noms, est l’aliment quotidien, nourricier, le pain enfin des habitants de l’Afrique ; — tandis que l’Américain a presque pour rien la farine de manioc, cet équivalent de notre farine de froment, et qu’il n’est pas hors de l’Europe un point du globe où la nourriture principale de l’espèce humaine ne soit pour ainsi dire sous sa main, à la portée de ses lèvres, facile, éparse et bonne comme l’eau, comme l’air, comme la vie, dont Dieu n’a pas prétendu faire un problème : — eh bien ! l’Européen, lui, lui seul, est obligé, forcé de travailler presque uniquement pour avoir du pain, au milieu d’une foule d’autres nécessités qu’il s’est imposées. Pour le bourgeois le pain est déjà une sérieuse dépense ; pour l’ouvrier avec deux enfants et une femme, c’est le sacrifice de la moitié de son temps ; pour l’ouvrier qui a cinq enfants, c’est la valeur en travail de son temps tout entier. Il ne lui reste plus rien pour ses autres dépenses. Le pain enfin est une obligation de l’existence si persévérante, si dure, si horrible, qu’elle s’est formulée dans toutes langues de l’Europe par de douloureuses et bien expressives façons de parler : Gagner son pain, laisser du pain à ses enfants. Image triste ; c’est l’humanité qui a posé pour l’image.

J’ai dit l’opinion des savants de l’époque sur la bienfaisante racine soumise à leur examen. Il circula bientôt parmi