Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourvu, que la Sicile nous ferme ses ports, et voilà la disette. Quel port nous était ouvert à l’époque de la guerre avec la Russie et l’Angleterre ? À peine pouvions-nous communiquer avec nos propres ports. Ainsi, sans Parmentier, qui put voir encore ces beaux résultats de son immense découverte, tous ces généraux si fameux, rangés en bataille l’autre jour depuis la porte des Invalides jusqu’à la porte de l’Étoile, n’auraient pas compté tant de générations de soldats tués à l’ombre de leurs panaches.

Louis XIII, cet équivoque ami de Cinq-Mars, dont il fut l’assassin, a une statue au milieu de la place Royale ; Louis XV, cet Héliogabale, chef énervé d’une monarchie décrépite, a donné son nom à la plus belle place de Paris ; il y a dans les niches de l’Institut des bustes de savants dont Dieu lui-même a oublié l’existence, les travaux et le nom : dans la galerie du Théâtre-Français, on se heurte les coudes à d’ingrates images qui ne valent certes pas le marbre et la terre cuite dont elles sont faites. On inflige aux rues que l’on perce les plus étranges noms, après avoir appliqué anciennement jusqu’à douze fois le même nom de saint à autant de rues de Paris, ainsi de celui de saint Jean ; et Paris n’a pas une seule statue, un seul buste de l’immortel Parmentier ; pas une rue qui ait son nom, ni au fronton des vieilles, ni au fronton des modernes, depuis la barrière du Trône jusqu’aux Champs-Élysées.

Les Champs-Élysées me ramènent naturellement à ces statues au nombre desquelles j’ai été étonné de ne pas voir celle de Parmentier, un des plus grands hommes de la France, s’il n’en est pas le plus grand dans l’ordre des hommes utiles. Ce n’est pas même de lui qu’on peut dire qu’il brillait splendidement par son absence aux obsèques de l’empereur. Qui a remarqué son absence ? Moi seul. Un inconnu se souvenant d’un autre inconnu.