Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/345

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point noir rapproché sans cesse partait aussi le bruit sourd du canon. À ne pas en douter, une des deux voiles courait sur l’autre dans des intentions hostiles, et dans ces parages deux voiles en hostilité signifiaient hautement la collision d’un navire anglais et d’un navire français. Le capitaine Gueux ne continua pas moins sa chasse contre le brick français dans la direction du groupe aperçu, lequel grossissait et se canonnait toujours. Au bout d’une heure, quatre navires furent en présence : le corsaire français la Grenouille en train de déchiqueter un trois-mâts anglais chargé jusqu’aux sabords, et le corsaire la Faim traquant son brick à demi rendu. Qu’allait-il résulter maintenant de la rencontre des deux corsaires, surpris l’un et l’autre au moment de capturer, celui-ci un navire français, celui-là un trois-mâts anglais.

Comme à un signal exactement obéi, le feu des deux corsaires cessa. Le capitaine Gueux et le capitaine Grenouille employèrent cette minute de trêve à une méditation d’une parfaite similitude. Ce que l’un se dit, l’autre se le dit, et voici ce que chacun des deux pensa :

— Si j’abandonne ma prise pour me battre avec le corsaire ennemi, la prise profitera de l’occasion et s’en ira. Le bâtiment dont j’ai à soutenir le pavillon s’en ira également, je le sais ; mais quoi ! j’aurai risqué de perdre mon navire pour en sauver un, — au cas toutefois où je serai vainqueur, — qui ne couvrira pas mes frais d’avarie.

Raisonnement très-juste et à la taille des corsaires, qui préféreront toujours prendre un bâtiment ennemi que d’en sauver un de leur nation. Le mieux, réfléchirent-ils, est de considérer le coup comme nul, et de n’avoir pas l’air de s’être vus.

Afin de s’assurer que le capitaine Grenouille partageait son avis, le capitaine Gueux fit avec beaucoup de circon-