Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/346

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spection l’essai d’une manœuvre significative. Il abandonna le travers du brick français, sa prise un instant auparavant assurée, et il tira au large ; au moment même, voyant cela, le capitaine Grenouille exécuta une manœuvre semblable, en sorte que les deux corsaires s’éloignèrent d’un commun mouvement de leur double capture, pour faire voile dans une direction contraire. De part et d’autre, il y avait jusque-là intelligence et bonne foi parfaites ; mais, à un quart de lieue d’éloignement, l’Anglais décrivit une courbe, dont la pointe, en se prolongeant, devait finir par passer dans le plan du corsaire français. Celui-ci mit aussitôt en panne, découvrit ses batteries et attendit. Il se repent, se dit-il. À tout pécheur miséricorde.

— Canonniers, à vos pièces !

Quand les deux corsaires furent à portée de pistolet, la Faim mit à la mer une embarcation où le capitaine Gueux descendit avec un seul matelot. — Ce n’est qu’une simple explication, pensa le capitaine Grenouille ; on ne sera pas en reste avec lui :

— La yole à la mer ! cria-t-il.

La yole et l’embarcation furent bientôt bord à bord, et les deux capitaines parlementèrent.

— Je ne vous crains pas, dit d’abord l’Anglais au Français.

— Moi non plus, répondit le Français.

— Si nous nous battons, ce sera long, capitaine Grenouille.

— Très-long, capitaine Gueux.

— L’un de nous prendra l’autre, et les deux bâtiments marchands ne seront plus là. Si je suis vainqueur, que ferai-je, capitaine Grenouille, de votre canaille d’équipage ? Cela ne vaut pas trois livres sterling !

— Et moi, que ferai-je, capitaine Gueux, de vos bri-