Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/52

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— Va-t’en ! s’écria d’une voix de tonnerre le commandant, heureux de trouver ainsi un dérivatif à l’oppression qui l’accablait.

— Un instant ! dit Suzon. Mistral, va me chercher le reste de bouilli et de veau froid dont ces dames auraient fait fi. J’ai la fringale… Ce froid…

— Oui, mademoiselle Suzon.

Mistral, avant de sortir, s’arrêta pour écouter et désigner malicieusement du doigt le haut de l’escalier, d’où tombait la voix de Sara, qui chantait maintenant à tue-tête :

J’ons deux filles à marier,
Landerirette !

Elle faisait allusion aux deux jeunes élèves qu’elle avait conduites avec elle.

Toujours même surdité de Suzon.

— Pourquoi, reprit le commandant, qui aurait voulu, comme Othello, étouffer Sara sous son oreiller, ne mangerais-tu pas un morceau de ce pâté de venaison ?

— C’est trop fin pour mon bec, répondit Suzon.

— Allons donc !

— Je craindrais pour mes dents. C’est bon pour ces belles et jeunes dames qui ont soupé ici.

— Oh ! belles ! ça dépend, dit le commandant, qui, croyant avoir déjà apprivoisé la mauvaise humeur de Suzon, prenait un accent plus dégagé.

— Tant mieux pour elles, si elles sont belles et jeunes !

— Oh ! jeunes !

— Quand elles seraient jeunes ! Est-ce que je les envie ? Il ne me manquerait plus que ça… Chacun a son âge, on le sait, comme chacun a sa place dans ce monde. Je suis votre