Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/87

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par un concierge ! Beziers, attends-moi. Je vous suis, dis-je au concierge.

— Monsieur, me dit Beziers, suivez mon conseil ; ne vous risquez pas. Ceci est trop beau pour ne pas cacher un piège. Il vous arrivera malheur ; je ne vous reverrai plus. Nous sommes au pays des sorciers ; retournons à Amsterdam.

Vous devinez que les craintes et les prières du bon Beziers ne m’arrêtèrent guère. Je lui donnai deux excellents cigares, et le laissai pour suivre mon guide.

Quelques minutes après avoir quitté la grille, nous marchions sur la chaussée qui mène aux premières maisons de Broek. Cette chaussée n’est ni de sable doux et raffermi par le cylindre, ni de grès, mais de briques de diverses couleurs parfaitement unies et propres, luisantes et cirées comme une salle de château. On assure qui ni chevaux ni ânes n’ont le privilège de souiller ce pavé royal, constamment entretenu. Si par hasard il y tombe une plume d’oiseau, une feuille de peuplier, quelque flocon détaché du manteau soyeux d’un angora, vite les préposés à la propreté publique l’enlèvent, et le miroir reprend sa limpidité.

— Mais par qui donc est habité Broek ? demandai-je à mon guide ; je n’ai pas encore vu un seul visage humain. Est-il habité par des anges, par des démons ?

— Par des millionnaires, me répondit-il.

— Comment dites-vous ?

— Par des millionnaires.

— Des millionnaires !

— Oui, monsieur ; pour devenir propriétaire à Broek, il faut avoir des millions. Le plus pauvre habitant de Broek n’a pas moins de deux millions de revenu. Vous n’êtes donc jamais venu à Broek ?

— Jamais.