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le dragon rouge.

à compter d’aujourd’hui où je vous écris, c’est-à-dire peu d’heures avant mon départ pour le Béarn, le Régent sera enlevé au sortir de l’Opéra. Le reste se fera avec la même exactitude prévue et arrêtée. Je serai auprès de M. de Marescreux et de ses deux fils lorsque le Régent leur sera livré par l’escorte française chargée de le remettre à l’escorte espagnole. Et c’est alors que je lui dirai : « Quoique monseigneur ne m’ait pas jugé digne d’être ambassadeur en Espagne, je ne me crois pas moins obligé, comme roi de Navarre, de lui faire les honneurs de mes États. » Je l’accompagnerai ensuite jusqu’aux limites de la Navarre avec toutes les marques de dignité dues à un prince du sang. Les souverains peuvent réciproquement s’exiler, se faire égorger si leurs intérêts l’exigent, mais il leur est défendu d’oublier, les uns envers les autres, le respect qu’ils méritent, même sur l’échafaud.

« Quand la fortune qui, jusqu’ici, nous a si généreusement aidés, voudrait nous abandonner, je cherche, mademoiselle de Canilly, comment elle s’y prendrait pour réussir. Nous n’avons mis dans notre conspiration que des gens de qualité, pleins d’estime les uns envers les autres, autant que liés par la haine et le mépris contre leur ennemi commun, le Régent. Serions-nous découverts, supposition impossible ; serions-nous pris, crainte hors de toute raison, quel tribunal oserait, je ne dis pas nous condamner, mais nous juger, quand nous avons pour chef le roi d’Espagne, Philippe v, son premier ministre Albéroni, son ambassadeur, le comte de Cellamare, et un fils et une belle-fille de Louis xiv, le duc et la duchesse du Maine ? On ne touche pas à un cheveu de ces têtes-là. Ceci soit dit, mademoiselle de Canilly, pour vous rassurer sur certaines terreurs fort mal fondées dont je vous ai vue émue le jour où je vous mis dans la confidence de notre projet. J’espère que votre cœur s’est remis de ces petites frayeurs, indignes de votre naissance et du caractère d’airain que je vous ai donné.

« Soyez toute à l’espérance d’une réussite prochaine, infail-