amies, à Paris, et je voudrais tout simplement savoir, en attendant la réponse, si ma lettre lui causera autant de plaisir que j’en ai goûté moi-même à la lui écrire. Tantôt je me dis oui, tantôt je me dis non. N’est-ce pas, Marine, que c’est ennuyeux de vivre ainsi ? C’est pourtant assez naturel de faire des calculs, n’est-ce pas, nourrice ? On ne sait pas comment deviennent nos amis quand on les perd de vue. Il faut se défier, il faut toujours craindre, il faut s’attendre à les retrouver changés d’esprit autant que de visage. Cela fait…
— Cela fait, dit Marine, que je vais te raconter une petite histoire, non pas de ma grand’tante, mais une histoire plus fraîche que j’ai vue et que j’ai entendue ; je t’avais déjà nourrie à ce moment.
— Raconte, dit Casimire, avec un soupir et en continuant d’assembler des fleurs de ses doigts délicats et pâles. — Un conte de nourrice.
Donnez-vous bien du mal, se serait douloureusement écrié M. de Canilly, s’il eût été témoin de cet entretien, enseignez à votre enfant le fort et le faible de la politique, mettez-lui le cœur humain dans la main, faites, enfin, d’une femme, à la sueur de vos veilles, un La Rochefoucauld et un Machiavel, pour qu’elle aille dire ensuite à une nourrice : Tire-moi les cartes !
— C’est un conte de nourrice et de nourrisson, reprit Marine : « Il y a huit ans, ce n’est pas vieux comme les tours Notre-Dame, tu vois bien, je fus appelée à la cour pour attendre le moment où madame la duchesse de Bourgogne, la belle-fille du grand-dauphin, accoucherait ; Monseigneur le dauphin était déjà mort à cette époque. Le duc de Bourgogne, son fils, aurait par conséquent régné après Louis XIV, s’il eût vécu. Mais il n’en devait pas être ainsi. Or, le duc de Bourgogne, qui était bon comme le bon pain de Nanterre, me voulut pour la nourrice de son futur enfant, parce qu’il m’avait vue à la porte du parc de Saint-Cloud un jour où je donnais à téter à la fille du duc Alvarès, mon avant-dernière. Quoique les méde-