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le dragon rouge.

cins de monseigneur ne voulussent pas de moi, tout bonnement parce qu’ils ne m’avaient pas choisie, lui persista et il l’emporta sur eux. Ils trouvaient, les uns, que j’avais le lait trop doux, les autres trop nourrissant ; enfin, je ne leur convenais pas. M. de Fénelon, qui était le bon Dieu même sur la terre, un saint homme d’archevêque qui n’aurait pas craint de bercer le premier enfant venu pendant un jour entier, M. de Fénelon leur coupa la musette à tous en leur disant : « la principale qualité de la nourrice est qu’elle plaise à l’accouchée. » Voilà parler comme un livre, et il en faisait de beaux livres, M. de Fénelon, pour son élève, monseigneur le duc de Bourgogne, celui qui allait être le père de je ne sais quoi. J’aurais sauté au cou de ce brave M. de Fénelon. La duchesse, qui écoutait tout du fond de son lit, où l’on exigeait qu’elle restât, quoique, si je n’avais pas eu plus de mal qu’elle, je serais allée couler la lessive, me dit ; – Quel est ton nom ma mie ? – Je me nomme Marine, pour vous servir, madame la duchesse. – Eh ! bien, Marine, tu me plais, tu aimeras bien mon enfant, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle. – Si je l’aimerai ! Dieu du ciel ! Et le bon duc se mit à sourire de ma mine en disant cela. Ce jour-là, je retournai chez moi à Saint-Cloud, car j’avais été présentée à Versailles ; je retournai chez moi dans la voiture de M. de Condé, dont le maître-nez ne m’est jamais revenu. Marin, mon mari, ne voulait plus me reconnaître ; il tournait autour de moi comme un chat autour d’un cuisinier qui revient du marché.

– Est-ce que tu dors, ma mignonne ? s’interrompit Marine, en s’adressant à Casimire ; tu as les yeux ouverts comme une poule qui les tient fermés.

– Je t’écoute, Marine, je t’écoute.

« Or, le lendemain, le duc de Bourgogne me prit à part et me dit toujours devant M. de Fénelon, qui l’approuvait de la tête : – Ma bonne Marine, fais de mon enfant, quand il sera né, ce que tu ferais du plus pauvre enfant du royaume ; et