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le dragon rouge.

Voyez-le assis maintenant dans son fauteuil en velours bleu, regardant passer sur le cadran de sa pendule ces heures dont aucune ne lui laissait en passant une minute de sommeil. À la troisième nuit, ou, si l’on aime mieux, après soixante-douze heures de réflexions, il sonna son valet de chambre et lui dit : — Donnez-moi quarante-huit feuilles de papier à lettre.

Le marquis se mit à écrire.

Le lendemain, quarante-huit personnes attendaient le moment d’être introduites auprès du marquis Besson de Bès. À dix heures, il fut visible. Le premier qui se présenta fut l’abbé Dumartel. Se proposant de causer quelques minutes avec chacune des personnes appelées chez lui, le marquis, on le comprendra, dut réduire chaque entretien à la plus grande concision.

— Monsieur l’abbé, que faites-vous en ce moment-ci ?

— Monsieur le marquis, j’ai entrepris un ouvrage colossal dans le but de prouver la supériorité de la théologie sur les autres sciences. Mon travail n’aura pas moins de vingt volumes grand in-folio, sur deux colonnes, avec commentaires.

— Vous ne le ferez jamais, reprit le marquis, c’est pourquoi vous me convenez à merveille. Je vous sais beaucoup de feu, beaucoup de pénétration et fort peu de patrimoine. Entrez, je vous prie, dans ce salon, et veuillez m’y attendre. Ne sachant trop si le marquis le raillait ou lui adressait un compliment, l’abbé Dumartel passa dans le grand salon désigné.

Le valet de pied ouvrit ensuite la porte à madame d’Aubry. Aussitôt le marquis courut lui offrir un siège ; mais sans lui laisser le temps de se reconnaître il lui dit :

— Vous êtes lectrice chez une princesse hongroise où vous gagnez à peine de quoi vous acheter les rubans roses dont elle exige que vous soyez parée pour avoir l’honneur de vous dire sa lectrice.

Madame d’Aubry s’écria :