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le dragon rouge.

de la ceinture en l’enivrant avec le vin de Chypre et de Scyros. Ceci lui révéla un des grands moyens de gouverner les hommes.

Elle vit qu’autour d’elle tout se traitait en riant, en dansant, en chantant, tout, jusqu’au crime, l’assassinat et l’amour, l’empoisonnement et l’intrigue, les plaisirs et la politique. Cette société fut son livre ; et, préparée comme elle l’était par son père à cette étrange initiation, elle posséda, après deux années de séjour à Florence, l’Italie entière, son école subtile comme le poison des Borgia, son implacable logique, sa patience vindicative ; et, selon qu’il aurait plu à Casimire de se placer ou au point de vue de la tyrannie, ou au point de vue contraire, elle avait désormais acquis une supériorité d’intelligence dont elle garda le secret.

Elle suivit d’autant plus fatalement cette pente d’étude, au bord de laquelle son père l’avait placée, qu’elle avait besoin de s’étourdir sur sa position ; elle ne pouvait s’habituer à la pensée d’être la femme du marquis de Courtenay. Son cœur, gagné par le beau mouvement de celui du commandeur, son cœur, cet ennemi éternel de son esprit, lui avait conseillé ce dévouement, et elle avait spontanément obéi sans calculer les suites de son héroïsme.

Les suites devaient être graves.

La marquise n’avait pas attendu de respirer l’air de l’Italie, où le soleil, agissant sur les corps comme sur les plantes, développe dans les uns aussi bien que dans les autres tout ce qu’ils recèlent de sève et d’éclat, pour découvrir de quel fardeau elle avait écrasé sa vie. Placée entre l’homme qu’elle avait épousé sans le moindre élan de tendresse et l’homme qu’elle aimait au point d’avoir consenti pour lui à ce mariage, elle n’éprouvait pas un mouvement de pitié en faveur de l’un qui ne fût une pensée de regret en faveur de l’autre ; et cet autre, comme pour éterniser le combat, elle le voyait debout sans cesse auprès d’elle, triste et découragé comme elle, renou-