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le dragon rouge.

ces voix, et, quand elles cessaient, elle rêvait avec ce rêve de la nature entière, se taisant avec son silence, aimant avec cet immense amour répandu sous le ciel. Elle était sans force, sans volonté pour le repousser.

Elle avait peur, elle ne pouvait fuir.

En se tournant pour chercher un appui, un siège où se reposer, elle vit le commandeur debout près d’elle qui la regardait. Ils étaient distraits tous deux ; ils étaient en peine tous deux. Ils souffraient de bonheur ; ils s’aimaient. Oh ! comme ils s’aimaient ! Jamais ils ne s’étaient tant aimés.

Les chants du cortège de la mariée diminuaient dans l’éloignement, ils s’éteignaient ; il n’y avait plus qu’eux avec eux. Eux seuls ! le commandeur et elle !

Que pouvaient-ils l’un et l’autre contre cette agression de la nature entière ? contre eux-mêmes, envahis par cette voluptueuse somnolence que procure le vin trompeur de l’Italie, clair comme l’eau, ardent comme du feu ? La main du commandeur chercha et trouva celle de Casimire qui allait y tomber ; elle la lui abandonna.

Le commandeur attira ensuite doucement Casimire vers lui, et elle s’appuya sur sa poitrine, comme si elle eut été endormie. Ils se parlèrent longtemps près des lèvres ; ils balbutièrent de ces mots qui ne sont ni une prière ni un refus, langage obscur et murmuré dont les mots ne s’écrivent pas, mais se respirent.

Dans l’un de ces mouvements dont nul homme ne peut plus ensuite se rendre compte, le commandeur souleva Casimire dans ses bras ; était-elle morte, était-elle vivante ? Il ne savait plus lui-même s’il était sur la terre.

La tête de Casimire toucha l’oreiller brodé de la jeune mariée ; un cri lamentable d’amour et de désespoir sortit de la poitrine du commandeur. Mais aussitôt il tira son épée, cette épée passée de brave en brave jusqu’à lui, qu’il avait immortalisée au siège de Belgrade, et il la posa auprès de Casimire.