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le dragon rouge.

est plein des beaux mouvements chevaleresques des tournois.

La marquise de Courtenay ne perdit pas contenance ; elle tint bon pendant toute la moitié du second acte contre cette persécution d’un regard qui ne cherchait qu’elle, ne voyait qu’elle, n’attaquait qu’elle dans une loge où il y avait deux hommes, dont l’un avait fini par perdre son sang-froid héroïque, l’autre son indifférence hébétée. Mais, dans le courant de l’autre moitié de l’acte, elle eut à lutter sur le terrain même où elle était placée. Elle avait vu le commandeur retirer peu à peu son gant de la main gauche et le passer dans sa main droite avec l’intention marquée d’en faire un usage terrible, et son mari, avec un sourire niais, chercher sur le visage du commandeur la cause du rouge pourpré qui l’enflammait.

— Je vous en prie, mon frère, dit-elle au commandeur, je vous en supplie, allons-nous en plutôt.

La supplication de la marquise fut si énergique et d’une telle expression qu’elle n’échappa pas aux jeunes gens placés sur la scène. Ce n’est plus avec leur épée, c’est avec le bâton de leurs valets qu’ils sentirent en ce moment le besoin de châtier l’insolente statue debout près de la loge de la marquise de Courtenay.

— Nous en aller ! murmura le commandeur, dont le gant était retenu par la main tremblante de la marquise ; nous en aller ! Pourquoi ne pas lui faire des excuses !

— Mais qu’est-ce donc ? demanda le marquis ; qu’avez-vous pour vous agiter ainsi tous les deux ? M’arriverait-il quelque chose de fâcheux ? Est-ce que l’on m’aurait heurté ? Suis-je près d’être brisé ? Pourquoi m’exposer ainsi à une si grande foule, moi si fragile ? Je suis tout Japon, pur Japon, ce soir.

— Il y a, lui dit sèchement le commandeur, que madame la marquise, votre femme, est en butte aux insultes d’un fat, d’un impertinent dont ma main va châtier le visage, si son visage ne change pas à l’instant de direction.

— Où est donc ce fat, où est donc cet impertinent ? demanda en gazouillant le marquis ; montrez-le-moi donc, mon frère.