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le dragon rouge.

rose le long du bras ; de cette chair complaisante à qui tout va bien, la guimpe de malines, la mantille qui la cache à demi, le fichu qui ne la cache pas du tout, le diamant que la respiration soulève, autour du cou, autour des bras, autour du front, car la respiration est partout où est la vie, où est la beauté. Sous le front hardiment en saillie de la marquise brillaient, tendres, sérieux et tristes, des yeux qui avaient gardé l’expression des choses fatales de la vie. Ils étaient grands et beaux comme elle était grande et belle ; ils étaient tendres, parce qu’elle avait aimé jusqu’au délire, jusqu’au désespoir, jusqu’au sacrifice ; tristes, parce qu’elle était mariée à l’homme qui était près d’elle, et qu’elle n’avait pas été la femme de celui qui était grave et mélancolique derrière son mari. La femme était là, dans cette tête intelligente, dans ces yeux, mémoires éternellement ouverts pour qui savait y lire ; le reste était à la dame illustre, à l’impératrice, à la haute et puissante demoiselle de Canilly, aujourd’hui marquise de Courtenay. Ses riches épaules, gracieusement étoffées, se prêtaient sans grimace à toutes les articulations de ses bras ; qui semblaient heureux d’être si beaux et fiers d’appartenir à une si illustre personne. Et toute cette dignité de corps et de visage n’inspirait pas qu’une contemplation admirative ; elle touchait par le grand charme de tristesse qui l’enveloppait. Il ne fallait pas trop cependant se laisser entraîner à la plaindre où à l’admirer ; il y avait partout, à côté des ombres de cette gravité souveraine, des buissons roses auprès desquels il était imprudent de passer ; il était facile d’y laisser des lambeaux de son cœur, sans que le buisson sut jamais ce qu’il avait arraché ni que l’ombre eût laissé rien voir.

Il ne semblait donc pas si monstrueux à certains spectateurs, d’abord prévenus contre la tenue de Raoul, qu’il affichât si ouvertement son amour pour la marquise de Courtenay. Tout ce qui sort des conditions banales de l’ordinaire ne déplaît pas à la foule, surtout à la foule française, dont le sang