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le dragon rouge.

deras à être introduite auprès du commandeur, à qui tu remettras ceci.

— Oh ! mon Dieu ! pensa Marine ; elle croit à sa folie. La douleur l’a rendue folle. Elle est folle !

— Mais le commandeur est mort, ma fille !

— Je te dis que non, moi !

Marine baissa la tête pour cacher les nouvelles larmes qu’elle sentait lui venir aux yeux. Elle comprit qu’il fallait tromper la marquise.

— Oui, dit-elle tristement, je dirai ce que tu voudras, je le verrai, je lui remettrai… Mais quoi ? demanda Marine. Tu ne me donnes rien. J’attends…

— Je perds la tête, en effet… tu as raison. Tiens ! dit la marquise en posant convulsivement sa main sur une feuille de papier, tiens ! Marine, voici ce que tu remettras au commandeur. La marquise n’écrivait pas. Elle parlait ; elle tremblait. Tu lui remettras ceci. Écoute, voilà ce que je lui écris. Enfin elle avait écrit ceci :

« Si vous vivez, un signe qui me l’apprenne ; si vous êtes mort… »

— Mais s’il est mort… s’écria douloureusement Marine, que veux-tu… ?

— Ah ! oui, dit la marquise, et elle effaça ce qu’il y avait après ces mots, qu’elle laissa : si vous êtes mort… Elle ajouta seulement : Toute à vous, Casimire. Porte ce billet au couvent de Saint-Maur, et reviens. Je ne me coucherai pas, je t’attendrai. Va ! bonne Marine ! dit la marquise en jetant ses deux bras au cou de Marine ; tu me rends là un service…

Et la paysanne et la grande dame mêlèrent leurs pleurs comme une mère et une fille le feraient dans un danger commun. Mais si la marquise pleura, c’était d’amour, c’était de doute, d’effroi, c’était de douleur ; Marine, c’était nettement de désespoir. Elle avait pleuré sur le commandeur, maintenant elle pleurait sur la marquise.