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le dragon rouge.

sur un point, et, pour eux, c’était le plus important. Ce Raoul de Marescreux, si près un instant de passer pour le Jupiter olympien des poltrons, était maintenant un héros de bravoure, un duelliste superfin, la fleur des duellistes. Tout à coup il se trouva des gens pour lui dresser des états de service à émerveiller la curiosité haletante des salons. Bordeaux, Toulouse, Rennes saignaient encore, à les en croire, des rencontres brillantes qu’il avait eues, soit à l’épée, arme dont le maniement lui était aussi familier que celui de ses doigts, soit au pistolet. Il touchait le but à toutes les distances ; sang-froid, agilité, adresse, il avait tout. Combien de jeunes officiers avaient déjà payé de leur vie la folle audace de se mesurer avec lui.

Sa vie, du reste, offrait du merveilleux. Il paraissait un jour dans une ville, le lendemain il la quittait, se moquant des poursuites des gens du roi et des arrêts du parlement contre les duellistes. Il était, ajoutait-on, aussi séduisant dans un boudoir que brave sur le terrain, et aussi heureux avec les dames que contre les hommes.

La bravoure du dragon rouge n’était donc plus une question pour aucun des jeunes seigneurs, si bons juges de la matière ; mais ils différaient d’opinion sur la cause positive qu’il convenait d’assigner à son dernier duel.

Les avis étaient partagés.

Les uns soutenaient qu’il avait offert ses tendres hommages à la belle marquise de Çourtenay et qu’elle ne les avait pas écoutés ; les autres, qu’elle les avait accueillis pendant un temps dont un nouvel amour aurait limité la durée. Bref, le dragon rouge, plus vif qu’expérimenté, aurait voulu se venger d’une infidélité ouvertement constatée. Mais pourquoi les effets de sa vengeance s’étaient-ils portés de préférence sur le commandeur ? Ici les deux moitiés de la jeunesse se rencontraient et s’unissaient d’opinion pour convenir que la marquise aimait son beau-frère, le commandeur de Courtenay. Ils en avaient pour preuve le fait divulgué par les témoins du