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le dragon rouge.

Qu’est-ce que tu as donc fait au régent pour qu’il t’ait envoyé ici ?

— Mais, sotte, tu ne comprends donc pas que c’est un honneur insigne qu’il me fait en m’envoyant en Pologne ?

— Tu appelles cela de l’honneur ! Tu as déjà manqué perdre le nez pour l’avoir mis une fois à la portière par ce froid qui avalerait le Mont-Valérien ; ces deux jeunes gens n’ont pas cessé d’être bleus depuis huit jours ; moi, je tousse comme celui qui tient l’encensoir, et cette chère enfant sera comme moi enrhumée pour toute sa vie. Tu appelles cela un honneur ! répéta Marine, dont la sortie burlesque n’était pas aussi dépourvue de sens qu’elle en avait l’air.

Il est vrai, et le comte lui-même ne se faisait pas illusion, que le duc d’Orléans l’envoyait en Pologne comme il l’aurait envoyé au diable, s’il était d’usage qu’on eût des représentants auprès de cette puissance du premier ordre. Il avait seulement coloré d’un titre honorable le demi-exil du comte de Canilly, dont il n’aimait ni l’esprit, ni le caractère, ni le visage. Le comte évita le plus possible, depuis ce jour-là, d’entrer en explication avec Marine sur les motifs et les prérogatives de sa mission.

Mais elle, chaque fois qu’elle entendait crier la nuit un loup dans les bois qu’on traversait, elle éveillait le comte pour lui dire :

— Comte, je crois que nous sommes arrivés ; j’entends le cri des marchandes de plaisir de Varsovie.

— Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! se reprenait-elle en appuyant sur son épaule la tête de Casimire, ne serions-nous pas mieux dans notre bonne ville de Paris, à entendre sonner les heures au clocher de notre paroisse ? Y a-t-il du bon sens à venir se perdre au milieu des loups qui sont par milliers ici comme des goujons en Seine ?

Les deux fils du marquis de Courtenay, qui étaient de quelques années plus âgés que Casimire, s’attachèrent, pendant ce