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Page:Gozlan - Le Dragon rouge, 1859.djvu/39

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le dragon rouge.

crédit public, Alliance avec les puissances du Midi, Moyen d’augmenter la force des armées, et une foule d’autres écrits dont il inondait les cabinets des ministres qui ne les lisaient pas toujours, et qui n’ont jamais aimé, du reste, les fonctionnaires qui écrivent.

Le comte de Canilly pouvait avoir alors quarante-neuf ans. Sa figure rappelait celle du Dante. Calcinés par les feux de l’ambition, ses traits portaient l’empreinte des macérations morales auxquelles cette passion terrible soumet les âmes. Ses joues, son front, son cou, ses mains nerveuses, semblaient avoir jauni à la fumée des guerres civiles. C’était un de ces hommes qui brûlent noir. Le parchemin de son front tombait dans un dernier pli sur la double arcade de ses sourcils, moitié noirs, moitié blancs, et ses yeux, toujours jeunes, illuminaient la voûte de ces deux corridors sombres. Ils étaient spirituels et violents sous un brouillard mélancolique. Que de déceptions ! que de mépris ! que de colère étouffée on apercevait sous le globe de ces yeux d’origine italienne ! Il y avait l’enfer du poëte florentin, mais rien qui rappelât les ombres de son purgatoire et surtout les placidités de son paradis. Comme le nez aquilin du poëte, celui du comte s’abattait sur des lèvres fines et fermées, ainsi que le sont les petites lèvres de la couleuvre. Elles étaient d’un dessin sinueux et semblaient ne pas finir. Sous ce masque vieux de fatigue, énergique de passion, s’allongeait un cou d’une maigreur cannelée et qui portait comme au bout d’une pique la tête dont il était surmonté. Le reste du corps rentrait dans l’harmonie du visage. C’était le plus beau type de ces hommes historiques qui apparaissent au peuple le jour où le balcon du palais d’un duc ou d’un roi s’ouvre au coup de vent d’une révolution, et qu’il en tombe une voix qui dit :

— Justice est faite !

On voyait en lui, dans des membres inquiets et pourtant délicats comme ceux des gentilshommes, toute la banale activité du peuple et toute la supériorité de l’aristocratie. C’était