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Page:Gozlan - Le Dragon rouge, 1859.djvu/40

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le dragon rouge.

l’aristocrate révolutionnaire. Son moral s’était moulé sur son corps, qui, ainsi que son moral, tenait debout par l’effet d’un perpétuel artifice. C’était une ambition percée de deux yeux et montée sur deux jambes. Un grand costume noir, sillonné de vieilles broderies d’or, couvrait le comte sans l’habiller. Il n’avait pas plus d’habit que de corps. On apercevait des façons de vêtements autour d’une chose qui ne s’en doutait pas.

Tel était, le père de Casimire de Canilly.

Il enfonçait sans pitié les jolis doigts roses de Casimire dans l’encre, et il lui faisait noircir le plus possible du papier. Il parvint donc, au gré de ses vœux, à voiler d’une teinte sérieuse les traits les plus gracieux du monde, et à rétrécir un esprit facile, un cœur où il y avait place pour les plus belles qualités. Mais il avait voulu l’élever lui-même, l’aigle voulait un aiglon, et remplacer, par les leçons de sa science profonde, les enseignements d’une mère ou d’une institutrice. M. de Canilly restait presque toujours d’un degré au-dessus ou au-dessous de la ligne réelle de l’éducation. Cette différence, dont il ne s’apercevait pas, n’est pas moins que la confusion de toute harmonie, de tout ordre, de toute vérité.

Ainsi, avec l’intention de rendre sa fille prudente, il la rendait fine, et il aboutissait à lui donner de la dissimulation, au lieu de la prévoyance ; de l’égoïsme au lieu de la réserve ; de la dureté au lieu de la justice, du calcul au lieu de la raison, et à lui faire préférer le succès, que ne doivent jamais connaître les femmes, au bonheur même.

Pénétré de l’opinion que chaque créature est constamment entourée d’ennemis ardents à l’empêcher de vivre, surtout dans l’ordre social, il avait réduit en maximes toute l’expérience dont il prétendait doter sa fille avant de la lancer, à Paris, sur la grande mer de la cour et du monde.

Voici quelques-unes des maximes enseignées, par le comte de Canilly, à sa fille Casimire.