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le dragon rouge.

Ce fut dans l’intervalle intime qui succéda à l’animation du danger qu’ils avaient couru que le commandeur parla à Casimire de ses projets prochains. La paix de la France avec les autres nations laissait peu pressentir qu’il pourrait un jour appliquer à sa défense ses études stratégiques. Dans cette persuasion, il avait arrêté d’aller offrir ses services à l’empereur d’Allemagne dont les armées attendaient la fonte des neiges pour marcher contre la Turquie, et assiéger Belgrade, réputé imprenable.

Simple volontaire, le commandeur bornait son ambition à voir se réaliser sur le champ de bataille les calculs médités par lui dans l’ombre du cabinet. Que les autres entrent, l’épée à la main, dans la forteresse conquise ! que les populations les implorent sur leur passage ! moi, dit-il, je dois me contenter de l’unique satisfaction d’avoir indiqué avec mon compas l’endroit où la bombe s’est abattue. Peut-être deviendrai-je sous-officier dans cette campagne, ajouta-t-il, si les généraux de Sa Majesté Impériale daignent faire attention à moi. J’irai ensuite demander du service à la Suède qui n’en a pas fini, dit-on, avec le Danemark. Je pourrai bien avoir alors vingt-huit ans. Après cela…

— Après cela ? répéta Casimire, ne trouvant pas apparemment que le commandeur étendait assez loin les prévisions.

— Eh bien ! répondit le commandeur, je me retirerai dans la terre de Courtenay, dans le vieux château de notre famille, et j’obtiendrai, je l’espère, de mon frère aîné, la jouissance d’une aile tranquille. Là je travaillerai, tout le reste ma vie, à mon grand système de fortifications.

— Vous ne vous marierez donc jamais ?

— Me marier ! répondit, d’un air doux et résigné, le commandeur, et comme l’eût fait un prisonnier à qui l’on eût dit en passant sous sa croisée grillée : Pourquoi ne vous promenez-vous pas lorsque le temps est si beau ? Mon frère, le marquis, est l’aîné ; il a tous les biens. Je suis aussi puissamment pauvre