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le dragon rouge.

ces deux extrémités de sa chétive personne. Du reste, il luttait souvent avec succès contre l’ingratitude de sa nature ; il se coiffait avec goût, s’habillait avec un art infini ; il travaillait ses ongles et sa peau comme une coquette sur le retour. Comme chez tous les hommes sans barbe, il y avait aussi de la vieille femme en lui. Il était causeur, médisant, indiscret, plus fin qu’habile, magnifique sans générosité. Il avait des envies plutôt que des goûts, et des besoins qu’il prenait pour des passions. Si l’on insiste sur les quelques avantages et les nombreuses imperfections de son physique et de son caractère, c’est qu’il était la millième preuve d’un fait qui n’a jamais été dit, malgré sa triste évidence.

Ce fait est celui-ci : c’est que, dans chaque famille noble un peu ancienne, et cette règle n’a pas d’exception, il se trouve, par suite d’épuisement des races un fou, ou un imbécile, ou un idiot, presque toujours un bossu. Tout sang qui ne se croise pas se vicie : voilà pourquoi les mulâtresses sont si belles, et les femmes issues de vieilles races, souvent si imparfaites par quelque côté. Victime de cet affaiblissement physique et moral, le marquis de Courtenay était placé aux limites de la difformité et de la folie, sans qu’on pût dire, à ce moment de sa vie, qu’il fût fou ou difforme.

— Ma toute reine, disait-il un jour à Casimire, nous ferons à nous deux un chef-d’œuvre. Nous rajeunirons Versailles, nous réformerons, nous corrigerons Versailles. Ah ! si j’étais né Louis xiv !

— Mais tu serais mort maintenant, répondit Marine présente à cet entretien.

— Tu as raison ; en effet, Marine, il vaut mieux que je sois tel que je suis. Admirez-vous beaucoup Louis xiv ? demanda-t-il ensuite à Casimire, avec un accent qui pouvait bien donner cette signification à ses paroles : C’est que je me pique beaucoup de ressembler à Louis xiv. Et il se reprit aussitôt : À quelle époque de sa vie le trouvez-vous digne de vous ?