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Page:Gozlan - Les martyrs inconnus, 1866.djvu/283

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sont de ceux qui sonnent fort, entrent chez leurs débiteurs à toute heure ; parlent rarement de leurs droits ou de leurs titres : c’est là l’affaire de leur avoué. Ils sont allés au collége avec leurs débiteurs ; ils ont doublé leur rhétorique ensemble ; ils se tutoient ; et le jour où ils savent que leur ami doit être arrêté par leur fait, ils lui envoient un avertissement. Amis charmants ! Vaudreuse en avait beaucoup, et parfaitement inconnus les uns aux autres, quoiqu’ils se rencontrassent souvent chez lui. L’un fumait dans ses pipes d’ambre, l’autre jouait avec ses armes orientales. Celui-ci lui volait ses journaux ; celui-là disait des douceurs à Ambroisine, tandis qu’on la coiffait. Et, en somme, c’était toujours elle qui parvenait à en débarrasser Vaudreuse, l’homme le plus inhabile à trouver la phrase avec laquelle on les congédie pour trois ou quatre jours ; phrase d’or, phrase sublime, autrement belle que : « Madame se meurt ! Madame est morte ! »

Or, Vaudreuse pressentit à ce coup de sonnette que c’était un des visiteurs dont nous venons de parler ; et il n’osait pas prier Ambroisine de se charger de la réception et des frais du dialogue, tandis qu’il s’en irait par une porte de sortie. Lui demander ce service, c’était reconnaître l’indispensabilité d’une femme dont il avait accepté la séparation, il y avait tout au plus l’espace d’une nuit. Pénible situation ! plus pénible que celle de prendre du thé sans musique ; car, pour se déshabituer du thé, on peut être seul ; et pour se déshabituer d’un créancier, il faut être au moins deux à le vouloir.