Page:Gozlan - Les martyrs inconnus, 1866.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quatre ans, toujours frais, mais bien moins rose, toujours excellemment mis, toujours soigneux en tout dans le monde, était déjà fort loin du Duportail de quatorze ans en arrière, qui dînait au Café de Paris et obtenait un congé pour venir, chaque carnaval, à l’Opéra, où il venait même sans congé, au risque de se faire remercier par son ministre, si son ministre eût osé toucher à cette vieille famille de consuls, de ministres plénipotentiaires et d’ambassadeurs depuis Louis XII et la prise de Gênes par les Français. Duportail avait contracté un triste mariage à vingt-huit ans, avec une Anglaise qu’il croyait devoir l’enrichir ; elle l’avait enrichi, c’est vrai, mais c’était tout : elle ne l’avait pas rendu heureux. Ils s’étaient séparés, ils avaient plaidé, ils s’étaient remis, puis encore séparés ; au bout du compte, la grande fortune de la femme et le grand nom du mari n’avaient produit que des procès, des dépenses énormes causées par ces procès, du scandale à inquiéter par moments Duportail sur son avenir. Aussi, pour avoir l’esprit tranquille, il suppliait toujours le ministre des affaires étrangères de l’envoyer dans les cours les plus éloignées ; mais y en a-t-il d’assez éloignées pour que n’y parvienne par le bruit du dommage porté à la réputation d’un galant homme par une femme légère ? Les malheurs conjugaux de Duportail l’avaient peu à peu enseveli dans un scepticisme du fond duquel il regardait passer la vie, la jugeant froidement, la méprisant sans le dire, n’ayant de respect que pour les surfaces, parce qu’elles sont des mi-