Page:Gozlan - Les martyrs inconnus, 1866.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et endormi sur la neige, au pied d’un bouleau, un enfant beau comme le jour. Le jour, c’était moi. Le prince, qui n’avait pas d’enfant, me prit, m’emmena à son château, m’aima comme si j’eusse été son fils ; il m’éleva, m’entoura de maîtres d’instruction et d’agrément, et, quand je fus grand, il me conduisit à la guerre contre les Circassiens. M’étant distingué, il paraît, dans toutes les affaires où je le suivis, il me donna la liberté au retour, et me recommanda au dernier czar, dont il était fort aimé. Le czar me fit comte. Mettant le comble à sa générosité pour un enfant qui ne lui était rien, mais qui lui avait sauvé la vie dans un combat, mon excellent protecteur me fit en mourant son héritier universel. Dieu ait son âme ! je possède aujourd’hui tous ses biens.

— Adrianoff, dit Fabry, c’est fort touchant ce que vous racontez là ; mais quel rapport, je vous prie, cela a-t-il avec le bal d’enfants ?

— Non costumés en Turcs, ajouta Duportail.

— Je vais vous le dire.

— Nous sommes tous curieux de savoir…

— Mais vous ne mangez pas, mon cher Adrianoff.

— Merci, cher Georges, j’ai déjeuné, répondait l’excellent Russe en prenant la moitié d’un poulet, qu’il mangea tout en parlant comme il avait déjà mangé les œufs