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Page:Gozlan - Les martyrs inconnus, 1866.djvu/68

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Un instant après, tout le monde était sorti de la salle à manger, excepté Valentine et Gabriel. Gabriel s’occupa de faire enlever rapidement la table.

— Malheureux Georges ! pensa Valentine les yeux arrêtés sur la porte du salon ; malheureux Georges ! encore le jeu ! toujours le jeu ! Mais que peut me vouloir M. de Fabry ?

Fabry avait, comme Chabert, servi en Algérie, mais il ne lui ressemblait guère ; à la vérité, l’un pouvait passer pour y avoir toujours vécu, tandis que Fabry n’y était demeuré que le moins de temps possible, détestant ces mœurs sauvages, ces figures bigarrées, ce soleil qui déchire la peau, vieillit avant l’âge, noircit le teint et fait blanchir les cheveux. Quoique brave à l’excès, et il l’avait prouvé dans plus d’une collision avec les naturels de la plaine et de la montagne, c’est la vie élégante et satisfaite qu’il préférait, la vie de Paris l’hiver, la vie des châteaux l’été. Rien ne ressemblait moins au caractère franc et avancé de Chabert que son caractère fin, sinueux, attentif, formé de fierté, de passion et d’une hauteur ardente. Si le but qu’il se proposait de toucher se trouvait au sommet d’une montagne, il ne la gravissait pas hardiment ; il la creusait horizontalement, puis de bas en haut, et cela sans bruit, sans souffler, sans se décourager ; et quand on ne savait plus s’il avait déserté ses projets, dont personne, du reste, n’était jamais bien informé, il