Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/13

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parisienne se compose. Je finis par m’apercevoir que toutes les après-midi, avec une rigoureuse ponctualité, passait devant moi, au front des boulevards, un landau, lentement traîné par deux chevaux de la plus élégante forme. Ils étaient de couleur égale, d’un beau roux de daim, et d’un pas semblable. Aux armes de famille peintes sur les panneaux, je jugeai que l’équipage appartenait à un lord d’Irlande, issu des anciens rois de cette contrée. L’intérieur du landau était en velours blanc, semé par losanges de flocons de soie bleue, rembourré avec la plus exquise délicatesse. On eût dit un manteau de pair d’Angleterre déployé. Jamais fée d’Irlande, et c’est leur patrie, n’eut de char plus moelleux, pour traverser les airs. Deux laquais en livrée blanche étaient montés derrière, et tenaient chacun une canne, signe particulier, exclusivement distinctif, permis seulement à la haute domesticité des lords. Ils suivaient avec une respectueuse attention les mouvements de la petite fille assise dans le fond, en face d’un homme pensif, qui tenait, appuyé sur le genou, un livre fermé, et d’une gouvernante dont les yeux ne se détachaient pas de ceux de l’enfant. L’homme portait le costume entièrement noir des chapelains d’Irlande.

Cette enfant était blonde ; dans l’une de ses mains potelées elle tenait un bouquet de roses du Bengale, fleurs tendres et fines comme sa peau. Sous la chevelure bouclée et soyeuse de la petite miss, deux yeux d’un bleu transparent et profond réfléchissaient le ciel, une noble race, une origine céleste. Les anges seuls et les enfants anglais ont de ces yeux-là ; c’est beau et rêveur comme un