Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/12

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deleine et de la Madeleine à la Bastille ; et, complètement quitte envers ma soif de connaître, je finis par borner ma promenade à une excursion quotidienne jusqu’au boulevard des Italiens, que je ne connaissais pas encore par son nom, mais que je préférais déjà, comme je le préfère encore aujourd’hui, tant aux boulevards dont il est précédé, qu’à ceux dont il est suivi. Les premiers sont trop bruyants, les derniers trop tristes. On ne se promène pas sur les boulevards Poissonnière et Montmartre, à moins qu’on ne soit marchand ou voleur de chaînes de sûreté ; on ne s’assied guère sur les boulevards des Capucines ou de la Madeleine, si l’on n’a pas la goutte. Agité sans tumulte, silencieux sans ennui, ombragé par des arbres où se rassemblent des moineaux de bonne maison, dressés à gazouiller le cours de la rente dont Tortoni leur siffle chaque matin le langage ; courant entre deux haies d’hôtels d’où sortent à pas lents, empanachés, vernis, glacés et armoriés, des équipages de toutes les nations ; à droite et à gauche éclairé jusqu’aux deux tiers de la huit par des cafés transparents comme des lanternes du Japon ; paisible le jour, tel qu’un grand seigneur qui repose ; voisin de l’Opéra, voisin des Tuileries, voisin du Palais-Royal, voisin de tout ce qui est beau, le boulevard des Italiens m’attirait chaque après-midi sur un de ces sièges grossiers, avec le bénéfice desquels les acquéreurs de la location s’achètent des fauteuils chez Lesage.

Les premiers jours de cette station, je ne remarquai pas ce qui éveilla plus tard mon attention, et fut par la suite, quand j’amassai mes souvenirs, comme la première mise de fonds des accidents traditionnels dont mon existence