Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/169

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de violettes ; elle s’appuya sur le parapet du pont. Alors le Turc alla vers elle et lui dit :

— Combien vos violettes, mademoiselle ?

— Six sous, répondit-elle, les six paquets.

— Tenez, mangez ces dix dattes ; la moitié de ce qui me reste, et donnez-moi en échange deux paquets de violettes.

Par ce moyen, l’enfant de Nanterre déjeuna.

L’Oriental ne mangea pas : il n’y avait encore que deux jours qu’il jeûnait.

Ainsi le malheur venait d’unir la misère de l’Occident et la misère de l’Orient, les fleurs et les dattes.

Au coucher du soleil, le froid fut si vif qu’il marqua vingt-et-un degrés. Montrant ses dents blanches, le tanneur sourit en regardant le ciel. La marchande de violettes s’était endormie au bas du pont.

Elle dort, pensa-t-il ; et elle est jolie comme Petite-Framboise ; qu’elle dorme !

Dattes ! dattes ! véritables dattes de L’Orient.

Paris s’allumait. Il était beau, il resplendissait sous le ciel sombre comme sous la voûte d’une mine. On allait au bal, à l’Opéra ; chez Borel, au Rocher de Cancale, où l’on mange en avril des abricots à la Condé, à quarante francs le plat.

À son tour, le Turc se sentit pris de sommeil ; il céda d’autant plus volontiers à l’envie de dormir, qu’il était peu probable qu’on vînt maintenant lui acheter ses dattes. À sept heures ! par vingt-un degrés de froid !

Il eut une bonne idée avant de s’endormir, celle de se