Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/273

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che d’encre ; s’ils marchent, un crêpe noir qui ondule.

Viennent derrière ces quatre cents mules neuf blanches haquenées enveloppées dans leurs fourreaux de brocard ; elles portent, au lieu de profanes cavaliers, un petit tabernacle que surmonte un baldaquin. Le meuble sacré renferme les hosties de voyage. Ces haquenées sont mitrées comme des évêques ; elles en ont le saint orgueil.

Chaque carrefour a été désigné d’avance comme point de rencontre ; on s’y rend, et à chaque rendez-vous le fastueux pèlerinage se grossit d’un groupe d’abbés, d’un noyau de moines, sortis de leur monastère au son d’une trompe. Parfois leurs confréries les accompagnent jusqu’au carrefour processionnellement, croix et bannière en tête. Moines et abbés, s’ils sont riches, , sont escortés de leurs domestiques, serviteurs moitié estafiers, moitié sacristains, ayant à l’arçon une épée perpendiculairement fixée, et du côté droit de la bride des livres pieux et un mousqueton. Ils marchent au flanc des étuvistes, des valets de pied, des médecins, des poëtes, de tout le personnel de la maison à laquelle ils sont les uns et les autres attachés, ce que justifie leur livrée uniforme. La figure brodée sur leur poitrine indique leur emploi : il y a une coupe sur l’habit du médecin, une plume sur le pourpoint du poëte.

D’heure en heure le ruban noir s’allonge et s’unit comme une étoffe humide sous le fer de la repasseuse. L’abbé s’emboîte avec l’abbé, le moine s’engraîne avec le moine, et l’occasion pieuse du voyage efface les différences vaines de la hiérarchie.

Suivent d’autre mules, vives comme des chèvres, bruyantes de leurs sonnettes d’argent, portant des coussins et