Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/42

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Lord Brady et sa femme croyaient déjà n’avoir plus de fille. Ils se regardèrent dans la solitude de leur âme, et ce regard ne se peint pas.

La cérémonie étant finie, et l’enfant consacré, ses parents rentrèrent chez eux.

Deux chaises de poste attendaient dans la cour.

Cette nuit fut sombre dans l’hôtel. Aucun domestique ne dormit. Quelques-uns se souvinrent d’une nuit, à quatre ans de distance, au château d’Irlande ; les moins vieux au service de la maison se rappelèrent une autre nuit non moins sinistre, mais plus rapprochée, la nuit de la fête à Boulogne.

En ma qualité de chapelain, à titre d’homme de consolation, j’entrai dans l’appartement, où lord Brady s’était retiré avec sa femme. J’avais hésité pendant huit heures si j’y pénétrerais sans être appelé. Un silence dont je fus effrayé enleva ma résolution.

Lord Brady avait les yeux rouges ; il écrivait.

Debout contre un berceau, sa femme était penchée sur le visage de Katty dont elle semblait vouloir emporter le souffle, l’empreinte et la vie ; il y avait huit heures qu’elle aspirait ainsi son enfant ; elle en prenait le plus qu’elle pouvait.

Quand l’heure de l’éternelle séparation eut sonné, je fus obligé de soulever la bonne lady dans mes bras et de la descendre dans la cour, ainsi ployée. Ses mains crispées paraissaient toujours s’attacher à un berceau, et ses yeux regarder ce qu’il y avait dedans.

Ayant fini d’écrire, lord Brady me serra la main, et d’un