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Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/53

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nature, la raison le veut ainsi. Après un an, deux ans de souvenirs pénibles, l’image de Katty s’envola de ma mémoire comme une fleur qu’on a placée entre les deux feuillets d’un livre. La fleur pâlit, se dessèche, se détache du livre, et un beau jour le vent l’emporte en poussière. Vous souvenez-vous de tous les papillons qui vous ont charmé, par une douce matinée de printemps, à travers les hautes herbes, de toutes les ondulations du blé dans la plaine ? Nous ne gardons rien du trésor de nos joies et de nos douleurs. Nous sommes des tombes.

Depuis cinq ans, bien d’autres pesantes histoires d’hommes avaient pris la place de cet épisode ailé d’un enfant dans le recueil de mon passé. Je n’avais plus que de vagues réminiscences de l’enfant, de sa figure, du docteur Anderson, de lady, de lord Brady ; personne ne m’en parlait, je n’en parlais à personne.


VI

Une soirée d’hiver, — de l’hiver dernier, — j’écoutais, assis auprès d’un bon feu, le récit familier d’un voyage en Suisse, que me faisait le voyageur lui-même, un ami, en posant tantôt son cigare sur le bord de la cheminée pour gravir le mont Rigi, buvant tantôt une goutte de kirsch pour reprendre des forces à la chapelle de Malchus. Comme c’est un homme d’esprit, il racontait sans chercher à faire de l’esprit. Je puis dire que je connais la Suisse depuis que je l’ai entendu et après avoir oublié cette contrée, à force d’en lire des descriptions.