Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/74

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demander l’explication à M. Richomme. Pourquoi enlever les aiguilles ? Est-ce qu’on avait peur que quelqu’un ne les volât ? Mystère resté insoluble pour ce brave Fournisseaux, qui rayonnait comme une bougie au milieu de ces fêtes de famille.

Fournisseaux avait quarante-cinq ans, mais il ne paraissait guère en avoir que vingt-quatre, si toutefois il paraissait avoir quelque chose. Car, ainsi que les professeurs, les commis épiciers et droguistes n’ont pas d’âge ; les professeurs, à force de vivre avec les enfants, leur prennent leurs petites voix criardes, leurs petits gestes, leurs mignonnes manies de sautiller, de courir toujours. Tels sont les commis épiciers, qui tiennent et de l’enfant par la confiture, et de la cuisinière par le sel. La barbe leur pousse mal, ils ne savent ni marcher, ni tenir en place, et l’habitude de tourner, de se heurter sans cesse dans la cage de leur boutique, les réduit, les presse, les amincit ; ils vieillissent sans changer de forme. Et de même qu’il y a des choux de Bruxelles, parodie gracieuse mais un peu risible, des choux ordinaires, il y a, également, et les commis droguistes et les professeurs sont du nombre, des hommes de Bruxelles.

M. Richomme avait été d’une sincérité généreuse en recommandant Fournisseaux à sa fille et à son gendre. Fournisseaux, qui n’avait jamais su lire, connaissait pourtant la droguerie aussi bien que son maître. Il en aurait remontré sur quelques points au fameux Émery lui-même, ce Voltaire de la droguerie. Nul n’était assez habile pour le tromper sur la qualité ou sur le prix d’une marchandise, vînt-elle du fond des Indes. Il la palpait, la flairait, la