Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/75

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goûtait, et il disait : C’est telle chose, et cela vaut tant. Une fois, il couronna sa science par un fait qui mérite d’être cité. Un étranger avait présenté, aux plus fiers droguistes de Paris une poudre grise dont il prétendait avoir vingt ballots en grenier. Qu’était cette poudre ? voilà ce que ne put dire aucun d’entre eux, et ce qu’ignorait le vendeur lui-même, qui tenait la marchandise d’un parent mort sans avoir révélé le nom de son étrange legs. M. Richomme y laissa sa pénétration ; il renonça à deviner après avoir étudié, comparé, analysé l’embarrassante poudre. Qu’est-ce que cela ? demanda-t-il à Fournisseaux. Fournisseaux prend la poudre, la regarde, la sent, la met dans la bouche, la savoure, et il dit en riant : C’est de la fiente de pigeon, monsieur Richomme ; nous pouvons la prendre à trois francs la livre. Fournisseaux était un génie ; Richomme l’embrassa.

Outre sa perspicacité, Fournisseaux possédait la force d’un bœuf. Il remuait des ballots de six cents livres, roulait des pipes de rhum comme on le ferait d’un simple cerceau, et il servait encore au magasin où l’on vendait aussi en détail. Levé à cinq heures, été ou hiver, il ne se couchait qu’à minuit, longtemps après que les commis étaient partis et que le teneur de livres avait méthodiquement essuyé toutes ses plumes, pris son parapluie et passé sous l’auvent du magasin. Il avait vu marier M. Richomme, naître et marier Lucette, et cela sans que sa position fût notablement changée. Trente-cinq francs par mois étaient ses appointements, qui s’étaient élevés à ce chiffre au bout de trente-neuf ans de service sans interruption. Mais qu’aurait-il désiré de plus ? Il laissait son argent dans la maison, où M. Richomme le faisait valoir, et il jouissait de toutes