Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/85

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éprouver quelque difficulté à regarder devant lui sous un rebord avancé en manière de toit. Mais un homme qui renonce au monde pour vivre aux champs doit s’habituer à ces inconvénients, comme à porter des guêtres de cuir boutonnées tout le long de la jambe jusqu’au-dessus des genoux, supplice réalisé par M. Richomme, qui, emprisonné dans ce fourreau inflexible, marchait tout d’une pièce, ou plutôt ne marchait pas ; il avançait. Ses épaules étaient chargées de tout le mouvement de son corps : elles étaient prises dans un habit de chasse, semé de boutons à tête de sanglier, symbole de l’exercice violent auquel il se préparait et dont il se réjouissait en idée.

— C’est un autre homme, disaient des voisins, qui ajoutaient avec un peu d’envie : Voilà ce que c’est que d’être riche ; on se retire au bel âge, on va vivre à la campagne. Mais les Richomme ont toujours été heureux : c’est connu. Son père se retira à cinquante-cinq ans. Après tout, c’est mérité ; souhaitons-nous-en autant, voisin.

Attentif au moindre mouvement de son maître, Fournisseaux touchait à tout ce que touchait M. Richomme ; il marchait dans ses pas, regardait par ses yeux, parlait par sa voix ; en sorte qu’ils étaient deux, qu’il y avait quatre mains pour soulever un panier d’osier à porter au bout du doigt. Comment Fournisseaux aurait-il été moins dévoué à son maître à l’heure suprême de la séparation, lui, l’ombre portée de M. Richomme, le mur qui lui avait fait écho, le miroir où il s’était réfléchi pendant plus de trente ans ? Au fond de son cœur, il était désolé ; il perdait, le même jour, père, mère, patrie, en se séparant, en se