Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/268

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pas à modérer dans son élève l’élan des affec tions trop vives, à le détourner des spectacles énervants, à le préserver des coupables défaillances. Il éteint autour de lui, il éteint en lui tous les foyers de tendresse. Émile n’a ni frère, ni sœur, ni ami, ni connaissances ; il appartient à son précepteur, et son précepteur n’est lui-même qu’un instrument d’éducation. Pour le sevrer plus sûrement de tout sentiment, il l’isole et il règle sévèrement le développement de ses facultés. De deux à douze ans, Émile ne vit que par les sens ; à douze ans il est mis en possession de son intelligence, à quinze ans, de sa raison ; à chacun de ces degrés correspond une éducation exclusive : éducation physique, éducation intellectuelle, éducation morale ; le sentiment n’a de part qu’à la dernière. C’est le sentiment, au contraire, que Rousseau prend pour base de l’éducation de la jeune fille. Il fait sans doute à l’autorité la part nécessaire, et l’on ne saurait attendre de lui qu’il n’appelle point l’intérêt à son aide : si la petite n’avait les cerises de son goûter que par une opération d’arithmétique, il proteste qu’elle saurait bientôt calculer. Il a confiance aussi en quelque mesure dans le jugement de l’enfant, et il demande qu’on justifie à ses yeux, aussitôt qu’on le peut, tous les soins qu’on lui impose. Mais ce rôle souverain que Fénelon et Mme de Maintenon accordent à la raison, il le donne au sentiment.

Il serait injuste de s’en plaindre avec rigueur. Ce n’est pas sans motif que V. Cousin, trop aisément séduit d’ailleurs peut-être, déclarait qu’il ne connaissait rien de plus touchant que le cinquième livre de l’Émile. Le sentiment a inspiré à Rousseau des observations pleines