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SUZANNE NORMIS.

te fermer les yeux et rester fille, isolée dans la vie ? Non ! Eh bien, que te faut-il ?

Mais ma morale ne servait pas à grand’chose, et mes yeux d’incorrigible rêveur, devenus humides, persistaient à revoir, au lieu des bûches charbonnant dans le foyer, certain tapis bleu et blanc où Suzanne enfant avait écrasé maintes grappes de raisin, où les pieds pourtant si mignons de ma femme avaient usé un chemin de son lit au berceau…

J’avais rêvé de ma vieillesse autrefois, quand Marie et moi, serrés l’un contre l’autre sur la petite causeuse étroite, nous parlions bas afin de ne pas réveiller Suzanne endormie ; j’avais rêvé que je vieillirais, — mais pas seul ! Je m’étais dit que ma noble femme et moi, toujours serrés l’un contre l’autre, nous arriverions à cette heure redoutable où l’enfant s’en va du foyer, où les cheveux blancs viennent encadrer les rides, — et j’avais pensé qu’alors nous serions heureux. — oui, heureux, plus heureux qu’aux temps troublés de la jeunesse ; j’avais considéré la vieillesse comme le couronnement d’une existence remplie de labeurs utiles, comme le dénoûment splendide et serein du drame de la vie… Mais j’avais toujours rêvé ma femme à mon côté.