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ROMAN D’UN PÈRE.

Toute l’amertume de la séparation d’alors remonta de mon cœur à mes yeux ; je revis le bouquet de lilas blanc posé par ma fille enfant sur le sein de sa mère endormie à jamais… Je me rappelai le mot « heureuse », dernier cri arraché par l’angoisse maternelle à cette poitrine haletante… Était-elle heureuse, Suzanne ? Avais-je accompli le vœu de ma femme ? Hélas ! je ne pouvais répondre que par un doute cruel.

— Pardonne-moi, murmurai-je à la chère ombre évoquée par moi. Pardonne-moi ; je croyais bien faire !

Un rire qui ressemblait à un sanglot me fit lever la tête ; j’entendis un bruit confus, la porte de mon cabinet s’ouvrit toute grande, et une forme féminine parut dans l’écartement des rideaux.

— Papa ! cria faiblement la voix de Suzanne ; elle franchit d’un bond l’espace qui nous séparait et tomba sur mon cou, riant et pleurant.

J’entrevis Pierre qui s’essuyait les yeux du dos de la main et qui refermait discrètement la porte.

— Papa ! cria Suzanne d’une voix étouffée par l’émotion. Tout droit du chemin de fer ! Voilà !